UN COL, QU'EST-CE, COCO ?
Du jour où l'on commence plus sérieusement à grimper des cols, on commence à les compter, comme on compte ses kilomètres parcourus à vélo. Dame, c'est que cet effort, il faut en garder trace, même si l'on n'impressionnera guère ses (arrière-) petits enfants avec ces ridicules efforts vélocypédiques. Donc, on note scrupuleusement, dans un petit carnet à souche ou (à la rigueur, mais ça a moins de poésie) dans les fichiers excel de son micro, tous ces cols grimpés à la force de ses mollets et surtout de sa volonté.
Et puis, c'est là qu'on se rend compte que les noms ne suffisent pas toujours : certes, il y a les indiscutables de nos cartes Michelin : col d'Isoard, col d'Aspin, etc...Et puis, il y a les cols sans-grade, ou plutôt sans-nom, les laissés pour compte de la toponymie, au gré des fantaisies de l'histoire. Une membre illustre de la Fédération Française de Cyclotourisme (FFCT) rappelait il y a déjà quelques années que le département de Haute Loire, qui est quasiment couvert de montagne, possède un nombre ridicule de cols (ayant bien le nom de col), comparé à la Corse, où la moindre bosse est affublé d'un col "officiel" - l'un d'entre eux ayant même l'altitude de...18 m au-dessus du niveau de la mer ! Bon, admettons qu'à marée basse, il arrive à se hisser au-dessus des 20 mètres. Car rappelons qu'un col n'est pas forcément une montée, tout dépend d'où l'on vient. Sur une route de crête, qui par définition passe de crête en crête, la route généralement redescendra sur un ou des cols, un col étant justement une dépression dans une ligne de crête ! Et toute montée n'aboutit pas obligatoirement à un col : par exemple, une route montant d'une plaine à un plateau, aussi élevé celui-ci soit-il, ou bien finissant en contrebas d'un cirque montagneux - mais dans ce dernier cas, il existe généralement des sentiers, pas forcément cyclables, qui franchissent des cols sur la ligne de crête du cirque.
Mais, au juste, à part d'être un haut-lieu du Tour de France (accessoirement du Giro et de la Vuelta), qu'est-ce un col ? Les dicos nous apprennent en général qu'il s'agit "d'une dépression dans une ligne de crête faisant communiquer deux vallées". Tout est dit. Et rien. Prise telle quelle, la définition peut très bien s'appliquer à la Combe de Savoie, qui fait communiquer le bassin de Chambéry à la vallée de l'Isère, vers Grenoble : au nord-ouest de la région de Montmélian, les vallées s'écoulent vers le Lac du Bourget ; à l'est, la vallée de l'Isère, en provenance d'Albertville, s'écoule vers Grenoble ; à l'ouest, le Massif de la Chartreuse ; au sud, le Massif de Belledonne. Bref, il y a bien dépression entre deux massifs montagneux, permettant de faire communiquer deux réseaux hydrographiques. Il peut même arriver que dans une telle configuration, le lieu ait un nom de col : Seuil de Naurouze, entre Toulouse et Narbonne, ce seuil étant même franchi par un canal ! Mais dans le cas de la Combe de Savoie, celle-ci est à la fois si large et surtout, du point de vue altimétrique, si peu marquée, qu'on ne peut guère parler de col, au sens où l'on se figure plutôt l'emploi de ce mot.
A l'inverse, il peut arriver qu'un lieu ait un nom de col...et n'en soit absolument pas un, géographiquement. En France, c'est assez rare avec le toponyme "col", qui désigne à 99,5 % des cols géographiques (enfin, une partie d'entre eux). Mais d'autres termes désignent des cols, tout en désignant parfois autre chose. C'est le cas notamment du toponyme "pas". Tout comme l'image du pas de la porte, on sent vite le sens de ce mot : un pas fait "passer" d'une zone à une autre. Il peut donc arriver assez souvent qu'un pas désigne un col. Mais qu'on songe au Pas de la Case, à l'entrée d'Andorre en venant de France : ce "Pas" n'a strictement rien à voir avec un col. Et la région de Grenoble, le Massif du Vercors en particulier, est riche de ces "pas", qui indiquent le plus souvent un passage, par exemple d'une zone plate à une zone très pentue, ou bien effectivement un changement de vallée...mais sans qu'il y ait dépression entre deux sommets : au passage d'un cap montagneux, sur un chemin de randonnée, on trouvera ainsi parfois des "pas".
D'autres termes sont tout aussi ambigus, en français : collet, collade, etc..., car nos ancêtres ignoraient qu'un jour leurs descendants, sur des drôles d'engins à deux roues, allaient faire la différence entre des sommets et des dépressions. Un collet désigne, dans le sud, très souvent une petite croupe montagneuse, voire une butte, mais aussi bien un petit col !
Quant aux pays étrangers, ils n'ont pas toujours un terme univoque, comme "col" chez nous. Prenons les anglos-saxons : "pass". Un terme fréquent, tant en Angleterre qu'aux USA, en Suisse et en Autriche - plus rarement en Allemagne. Dans ce cas, on voit bien l'origine : passage. Et effectivement, ce terme se réfère plus à la notion de passage qu'à celle de col. Il se trouve que ces passages, dans des massifs montagneux, se trouvent à 80 ou 90 % à être des cols, mais ce n'est pas toujours le cas : en Autriche notamment, certains "pass" ne sont que des défilés, en pleine milieu de vallée, sans qu'on franchisse pour autant une ligne de crête.
En Angleterre, du reste, le terme "pass" se réfère en fait à l'ensemble de la section de la route de montagne, puisqu'il s'agit...de passer la montagne. Le sens se rapprocherait plutôt de notre "défilé". Dans l'absolu, il serait même incorrect d'attribuer ce mot à la partie sommitale de la route, au moment où la route bascule d'une vallée à l'autre, puisqu'on ne peut souvent plus parler de défilé. En fait, le seul terme anglo-saxon qui est le plus propre à désigner la même chose que notre "col" serait le mot "selle" (saddle, sattel), dont on visualise du reste bien la forme de dépression dans une ligne de crête. Ce terme est souvent peu usité, et s'applique plutôt pour les "petits" cols, c'est-à-dire les cols moins marqués (petite dépression, petite altitude, etc...). Aux USA et au Canada, outre "pass" et "saddle", on trouve aussi "summit", terme complètement ambigu : puisque le sommet de la route peut n'avoir rien à voir avec un col. On trouve la même chose en Allemagne, Autriche et parfois Suisse, avec le terme "höhe" et ses dérivés (höchi, joch...).
Par contre, dans tous ces pays, et notamment les pays montagneux à riche toponymie que sont l'Autriche et la Suisse, les cols géographiques sont souvent affublés de toponymes, souvent ambivalents : moss, matt, egg. On retrouve le même phénomène avec l'Espagne, la Catalogne en particulier : de nombreux cols, paradoxalement, sont appelés..."pla" ! En fait, ça se comprend : assez souvent, un col est une zone relativement plate, entre deux sommets et en haut de deux vallées torrentielles. Mais bien sûr, un "pla" est loin d'être toujours un col...Au-delà de ces termes, il en existe bien d'autres...et plus l'on s'éloigne, plus la toponymie peut s'effacer.
La Norvège dispose ainsi d'un mot théorique pour désigner un col de montagne : "skar". Mais, dans la pratique, quasiment aucun des cols (pourtant représentés sur les cartes Cappelen, avec un trait fin barrant la route à hauteur du col) n'a ce mot dans son intitulé. Pour les Norvégiens, il est tout simplement aussi incongru de dire "Col de Machin" que pour nous de dire "Rivière de l'Arc","Bourg de Pontcharra" ou "Fleuve de Loire", sans pour autant que la Loire ne soit pas un fleuve, tout comme Machin est bien un col. Idem dans les pays slaves, avec des exceptions (les sedlo slovaques, les przelecz polonais ou les preval russes, sachant que ces termes ne désignent pas tous les cols, pas plus que notre toponyme "col"). La Turquie dispose également de termes relativement ambivalents : dagi, bel, qui en fait signifie montagne, et bogazi, qui signifie avant tout gorge.
En France même, certains termes peuvent faire penser à la présence d'un col : tel "croix". Les gens ont souvent érigé une croix au sommet d'un col, au sommet d'une montée (qu'on pense au chemin de...croix), quand le col ne délimitait souvent pas un changement de commune, de district, etc...On retrouve le même phénomène dans bien des pays, tel les "apacheta" des Andes, petits monticules de pierres (cairns), chacun déposé par un voyageur, en général en signe de foi. Idem au Tibet. Bref, de tout temps, les cols ont représenté quelque chose de particulier qui dépassait cette notion restreinte, étroite, de "dépression entre deux sommets faisant communiquer deux vallées". Et demander que la toponymie actuelle, fruit d'appellations datant de générations et de générations, reflète exclusivement cette notion restreinte, est un non-sens.
Ainsi, en s'en tenant qu'à une définition purement toponymique de la notion de col, on risque par exemple de retenir des "pas" qui, dans 50 % des cas au moins, ne correspondent absolument pas à la définition du mot "col", et, par contre, oublier Megève comme col, au motif que le nom du lieu n'est pas "Col de Megève" (tout comme Les Gets s'appellent en fait "Col des Gets"). Et pourtant, dénier à Megève le caractère de col, c'est dénier une logique géographique des plus évidentes. Le plus important, finalement, n'est pas de savoir si le col a bien un nom de col (sachant que les trois quarts des toponymes sont ambivalents), mais s'il s'agit bien d'un col. Certaines apparences du terrain peuvent être trompeuses, mais les cartes topos, elles, trompent rarement. Le plus problématique, en fait, est souvent le nom du lieu, que celui-ci s'appelle "col" ou autrement. Sans quoi, l'on s'expose à une ambigüité sur le nom du lieu. Si un village de montagne est entouré de trois ou quatre cols (c'est fréquent, étant donné que chaque dépression, même modeste, dans les lignes de crêtes entourant un village est susceptible d'être un col), et si aucun de ceux-ci n'a un nom particulier, il est impossible de dire que l'un et un seul de ces cols, arbitrairement, s'appelera du nom du village, sauf si les habitants du lieu en ont décidé ainsi.
Car c'est une difficulité de la toponymie : si celle-ci est relativement précise, complète et assez stable dans le cas des pays développés, c'est une autre paire de manches ailleurs. En Amérique Latine, notamment les Andes boliviennes, j'ai été frappé par la grande distorsion des indications des cartes topos, officielles, en espagnol, peut-être conçues par d'autres pays dans certains cas, et la toponymie sur place, faites par les habitants, en langue locale (quechua souvent). Mais on peut retrouver des noms locaux en castillan ("abra de...", abra signifiant ouverture), notamment dans le sud de la Bolivie, très influencé par la proche Argentine. En Inde, un ghat peut aussi bien indiquer un col qu'une marche : les accès aux rivières pour les immersions rituelles se nomment "ghats", c'est même l'utilisation la plus courante du mot. Au Népal, au pied d'un petit col, un village s'appelle "Dolal Ghat", mais ce nom est lié à la rivière, non au col !
L'autre difficulté, moins grave, est qu'un même col peut avoir plusieurs noms officiels ! Ce qui peut conduire à des bizarreries de ce genre : entre Andorre et Espagne, au nord du Port de Cabus, il y a trois cols frontaliers. La "Portella de Sanfons" andorrane devient "Port Vell" en Espagne, le "Port Vell" andorran devient "Port Negre de Pallars" en Espagne, le dernier col, sans nom en Andorre, devient "Coll Petit" en Espagne. Seul le "Port Negre" andorran, tout proche de la frontière, ne change pas de nom sur les cartes catalanes ! Dans ce cas, il s'agit de la même langue (catalan), mais voyez le tableau dans le cas de pays limitrophes aux langues et traditions différentes !
Pour ma part, dans le cadre de cols étrangers, vu à la fois les traditions linguistiques parfois totalement différentes et la difficulté des traductions et des sources (cartes précises), je préconiserais de ne retenir :
- que les cols ayant un toponyme assez reconnu (même s'il est ambivalent), à condition que le lieu satisfasse aux conditions de la définition de col : dépression entre deux sommets, et faisant communiquer deux vallées (ces deux vallées, ou l'une d'entre elles, pouvant ne faire qu'une centaine de mètres !). Dans l'absolu, l'un ou les deux sommets proches peuvent ne dominer le col que d'une dizaine de mètres, voire moins ! A chacun de se faire son idée sur la question, et rejeter à la montagne les plus petits cols, ou les conserver. La pêche aux cols est ouverte toute l'année sans distinction de taille, même si souvent l'on préfère la pêche au gros.
- les cols ayant un nom indiscutable, mais sans toponyme clair (pas de "col de...", "...pass", "puerto de...", mais juste un nom) : soit ces cols sont explicitement reconnus sur des cartes même s'ils n'en ont pas le nom, soit le caractère du col est indiscutable. Je préconiserais : des sommets dominant le col d'au moins 50 mètres de hauteur, et à moins de 1 km chacun du col (ou bien, des sommets à moins de 4 km, dominant d'au moins 100 m le col), et depuis le fond de vallée, au moins 50 m de montée les 2 derniers km avant l'un des côtés du col, ou bien au moins 200 m de montée les 10 derniers km : ainsi, on s'affranchit grandement de petits cols discutables, dominés par des "mottes de beurre", ou bien de longs défilés plats telle la Combe de Savoie, sans pour autant rejeter les cols nets dont le seuil serait large, ou bien longs : songer au Malojapass en Suisse, qui, pour son côté est vers St Moritz, est assez peu marqué puisque en pente très douce.
Dans le cas de listes à faire homologuer, par exemple, à la Confrérie des Cent Cols, il existe un "rêglement". Celui-ci a surtout été conçu pour la France, puisqu'il existe une liste "officielle", le "Chauvot", de plus de 8000 cols (y compris les cols absolument ingrimpables, même en portant le vélo !). Pour l'Etranger, devant la difficulté d'établir des critères communs, sans remettre en cause la liste officielle française (qui se retrouverait étoffée de quelques milliers de cols de plus, chacun se bagarrant pour faire reconnaître la moindre bosse près de chez lui comme col authentique, et causant aux bénévoles un incroyable surcroît de travail pour gérer tout ça, des querelles à n'en plus finir), aucune liste officielle n'est établie, la rêgle générale française s'imposant : ne sont retenus que les cols en ayant le nom. Pour la Suisse, 79 cols en tout et pour tout...On voit vite les limites d'un tel système, quand on connait la réalité du terrain (la Suisse n'est pas qu'un pays à trous, c'est aussi un pays à bosses).
La première rêgle de ces associations (Cent Cols, Cols Durs) repose sur la bonne foi des membres, rien n'empêchant n'importe quel zigoto de prétendre avoir franchi un col (il ne trompe que lui-même), et rien n'empêchant de "nommer" un col soi-même. La meilleure des bonnes fois consiste surtout, quand il n'existe pas de liste officielle, de déclarer ce qui est col géographique net (pourvu que le nom du lieu soit indiscutable), peu importe si le mot "col" est dans l'intitulé ou non. Ceux qui auront grimpé le "Letras" ou "La Linea" en Colombie (superbes cols à 3600 m et 3200 m qui, comme la majorité des cols colombiens, ne se nomment pas "col de Machin", mais tout simplement "Machin") sauront ce que je veux dire.